Par Olivier Tibi, guide pour Terra Andina Bolivia, en 2002. |
||
Eh bien voilà, une bonne chose de faite : je viens de terminer mon premier circuit comme guide Terra Andina. Je suis heureux comme un lama sur son altiplano, mes yeux pétillent, j’ai la peau cramée.
Et dire qu’il y a quelques mois à peine je me morfondais en Bourgogne, rêvant d’aventure …
Nous sommes le jeudi 30 Mai 2002. Je monte dans mon fidèle destroyer blanc, le Land Cruiser modèle 3F qui avoisine les 260.000 Km, une monture encore peu apprivoisée par mes petites mains.
Son nom : la Salsa. Pourquoi ? Parce qu’elle danse sans arrêt dans les virages et chauffe davantage qu’une “mulata” des caraïbes se trémoussant dans la chaleur humide.
Nous partons à deux voitures, les galeries chargées du matériel de nos sept clients. Le deuxième chauffeur, c’est mon compagnon de voyage : Martin. Comment vous décrire Martin ? Un homme d’une quarantaine d’années, basané par le soleil et laissant apparaître une jolie dentition toute dorée lorsqu’il me lance ses sourires quotidiens. C’est une bête d’aventure, un marin des temps modernes, un croisé Mac Gyver et Huggy les bons tuyaux. Il connaît la Bolivie comme sa poche.
Il est un peu plus de 9h du matin, le chemin pour le Salar d’Uyuni s’offre à nous. La route est belle, l’asphalte siffle sous nos pneus tout crantés. A bord, l’ambiance est plutôt silencieuse malgré un fond musical typiquement andin. Mes clients auraient-ils de mauvaises pensées ? Non, me dis-je ! Il est vrai que je ne suis encore qu’un petit Jedi mais j’ai le bon côté de la lune avec moi.
Nous filons droit sur Patacamaya et nous arrêtons pour une pause déjeuner au lieu-dit Challapata, petite bourgade de l’Altiplano qui transpire la pauvreté et baigne dans la poussière.
Au menu, lama séché, chuño (pomme de terre déshydratée), maïs et comme dessert, une petite crème maison. Le restaurant n’est autre qu’une salle des fêtes improbable dans laquelle nous pénétrons sur un air du grand et merveilleux Enrique Iglesias : « Quiero ser tu heroe ». L’ambiance n’est pas terrible. Mes clients sont des montagnards du CAF (Club Alpin Français), postiers, électriciens, profs ou cuisiniers chez Sodexo, tous divorcés ou vieux garçons rustres.
Nous reprenons la route. Le bitume laisse la place à une bonne vieille piste grisâtre, poussiéreuse et criblée de nids de poules. L’aventure commence, il fait chaud dans le 4×4, la climatisation devait être en option…
Nous longeons une chaîne de montagnes presque inaccessible à pied, laissant derrière nous la Grande et Belle Cordillère Royale, d’un blanc immaculé. Après trois heures de sable, cailloux, quelques lamas inconscients à la croisée des chemins et des rafales d’un vent rugissant, nous arrivons enfin au bord du Salar d’Uyuni.
Mon reflex Minolta et ceux de mes compagnons de voyage vont enfin pouvoir mitrailler cet immense espace, ses habitants et ses couleurs de rêve andin. Sur notre chemin nous apercevons le cratère d’un météorite tombé il y a des siècles et croisons quelques vigognes (camélidés aux allures d’antilopes africaines).
La route est sinueuse et voilà que Martin se met à foncer comme un dératé dans les virages. Nous roulons à plus de 80 Km/h. Ma conduite est sûre, mes gestes sont précis et mes yeux de puma andin fixent les spatules du Land Cruiser. Y’a pas de doute : le pilote que je suis…se révèle être le successeur d’un je sais pas trop quoi.
Il est un peu plus de 17h lorsque nous arrivons au village aymara de Jirira, village d’un far-west oublié où nous attendent Doña Lupe et Don Carlos, les amphitryons de notre première nuitée.
Mes jambes sont lourdes et j’ai le dos en compote… Le soleil commence à tomber et le froid à se faire sentir. Nous faisons connaissance avec les patrons de l’hacienda.
Doña Lupe est une cholita aymara, boulotte, pas bien grande, ne quittant pas son chapeau d’une seconde, souriante et de bonne humeur. Je suis enivré, enfin, par cette chaleur humaine tant attendue.
Don Carlos est un vieux monsieur du Salar. Il cultive la quinua, seule plante capable de survivre dans la salinité des lieux. Je le regarde, avec ses petites moustaches jaunâtres encore toute humectées d’une boisson locale, et admire son courage, en pensant au dur labeur de ces gens perdus au milieu de nulle part.
Il est temps pour moi de descendre les toiles de jutes poussiéreuses du toit de ma carriole. Mes clients prennent possession de leurs chambres où règne un froid glacial et qui n’offrent ni toilettes privées, ni douche.
Je remets la glacière à Doña Lupe afin qu’elle nous prépare un dîner réparateur.
Je pénètre dans sa cuisine, grande pièce sombre, servant de chambre à coucher, de salon et de lieu de discussion. Une odeur de bois brûlé et de soupe qui cuit (cœur de lama séché pour le chien) me monte aux narines.
Au menu, soupe de quinua, pâtes à la sauce tomate, papaye, le tout arrosé d’un petit marc de Haute- Savoie, ramené dans les mochilas (sacs à dos).
« Chers amis, les chambres sont prêtes, le ciel est tapissé d’étoiles, la voie lactée est parsemée d’étoiles filantes, nous pouvons aller nous coucher » lançai-je à la cantonade.
Moi, je décide de finir la soirée dans la cuisine de la maîtresse de maison. Les enfants sont là, au nombre de sept, qui se laissent charmer par les histoires rigolotes que je leur raconte : je les fais rire, je suis ravi, mais il est l’heure d’aller se coucher.
Après une difficile entrée dans mon sac de couchage et les ronflements bruyants de mon compagnon de nuitée, je sombre enfin dans le sommeil.
Vendredi 31 mai : aujourd’hui, sacs à dos pour gravir le Tunupa (5400m), une ascension sans aucune difficulté technique mais nécessitant une bonne condition physique.
Le soleil se fait enfin sentir et après un petit déjeuner plus que nécessaire, nous nous attaquons à l’ascension du volcan qui domine tout le Salar. Martin est devant, je reste en queue de peloton, notamment pour attendre mon vieux garçon cuisinier (Jean-Paul). Nous surplombons tout le Salar, la vue est déjà exceptionnelle depuis le mirador (4700 m alt.).
Le majestueux Salar laisse apparaître l’ île d’Incahuasi et celle du Poisson. Nous redescendons essoufflés par l’effort mais avec quelques clichés bien mérités.
Le lendemain, nouvelle journée en 4×4. Nous nous dirigeons vers les hôtels de sel, fermés depuis pour cause de pollution. Mon Land Cruiser fonce droit sur ces édifices encore vierges de touristes. Nous roulons à plus de 110 Km/h sur le Salar. « Comme j’en ai rêvé de conduire sur le Salar, à fond la caisse ! » Nous profitons d’une halte pour récupérer des cristaux de sel. Il me faut creuser avec mon couteau, tel un inuit perçant la banquise pour pêcher son poisson.
La fin de journée est épuisante et marquée par un arrêt chez Don Alfredo en plein cœur du Salar sur l’île d’Incahuasi (d’origine volcanique, recouverte d’estromatolithes et de cactus géants, dite aussi isla del pescado). Nous mettons ensuite le cap au nord vers la frontière du Chili où nous logerons à Pisiga.
Les paysages sont superbes, les volcans nous encerclent, nous longeons le Salar de Coipasa et nous manquons à plusieurs reprises de nous embourber dans du sel détrempé.
C’est vers 15h30 que nous stoppons les voitures pour admirer le tableau qui se dresse devant nous. Je coupe le moteur. Nous photographions quelques lamas et des habitants de la région.
Je me demande comment fait Martin pour se repérer dans ce décor désertique où il n’y a pas de panneau, sans GPS, ni boussole. Je n’ai toujours pas la réponse.
“Il faut repartir”, nous lance Martin.
Mes passagers à bord, je démarre, j’accélère franchement…et je me retrouve perché sur un rocher ! En stationnant, je n’avais pas remarqué ce bloc, juste devant le 4X4. L’essieu est venu se poser sur lui, les roues dans le vide, impossible de bouger !
Et Martin qui est parti devant : pourvu qu’il se rende compte que nous sommes coincés !
Je décide de prendre la pelle et de retirer le sable et la terre autour du rocher. Ça ne fonctionne pas, il ne bouge pas d’un pouce.
“Ouf…Martin a fait demi-tour”
A l’aide du crick, nous soulevons le 4X4, l’attachons par une corde à celui de Martin et en le tirant , il retombe sur ses roues.
Chaude alerte, mais le véhicule n’a pas trop souffert, nous pouvons repartir. André, électricien de métier et passionné de vidéo, n’a pas raté l’occasion de filmer la séquence..
Nous arrivons à Pisiga, petite bourgade que traversent les camions se rendant au Chili (village douanier mais toujours en Bolivie).
Là, nous attend un bel hôtel, avec douche chaude, matelas correct et télévision dans la chambre.
“Ben, on en a fait des kilomètres”. Je suis mort. Ma frêle carcasse s’allonge et Morphée me prend dans ses bras.
Samedi 1er juin : nous partons pour le parc national de Sajama (cinq à six heures de trajet).
Nous pénétrons dans le parc par une piste qui nous conduit au village d’Oxani, orné de tombes anciennes, où débute notre trek, au cœur du parc national dominé par les volcans (Sajama 6540 m alt. / Parinacota 6340 m alt. / Pomerape 6300 m alt.).
La faune est abondante et variée : alpagas, vigognes et autruches. Après deux heures de voiture, nous parvenons au village de Tomarapi, à l’église typiquement coloniale. Nous quittons Tomarapi pour contourner les neiges éternelles du volcan Sajama par le nord. Nous parvenons en milieu de journée à la laguna Huayna Khota, sanctuaire de flamants roses, pour nous arrêter, enfin, chez Doña Theodora, Don Luis, et leur fille Sylvia, 16 ans.
Nos hôtes sont des paysans, toujours souriants et de bonne humeur.
Nous passons le dimanche aux eaux thermales au pied du volcan, pour un bain relaxant. Puis, en fin d’après-midi nous nous rendons aux geysers d’eau chaude dont la température avoisine les 90º.
Nous dormons chez Doña Theodora dans un confort des plus sommaires. Elle me prête son lit aux lattes et aux couvertures plus que douteuses.
Le lundi est consacré à deux heures de marche supplémentaire : nous retournons aux sources thermales.
Le mardi nous rentrons sur La Paz avec des couleurs, des images et des souvenirs plein la tête.
Merci, Bolivie, de t’être offerte à moi…