Le récit qui suit raconte une expérience de reco un peu particulière dans le sens où nous décidons de partir sans guide ni porteur.
Les photos qui illustrent le récit sont biaisées. Elles ont été prises à la redescente, puisque la montée se fait de nuit !
Topo de la Cabeza del Condoriri:
Avec mon grand pote d’ici, Benjamin, glaciologue pour l’IRD, l’Institut pour la Recherche et le Développement, nous nous sommes attelés à l’ascension de la Cabeza del Condoriri (la tête du Condor), surnommée ainsi par les Boliviens Aymaras en raison de sa forme. Ce sommet est l’un des plus beaux de la Cordillère Royale, et bien qu’il ne soit pas si haut (5,648m seulement…!) il est relativement technique.
Nous avons donc mis les voiles de La Paz samedi vers 11h après avoir bien checké le matériel (si tu oublies quelque chose, tu ne montes pas, ton matériel c’est ta vie). Après 3 heures de transport nous arrivons à Tuni, petit village de Cordillère situé à 4,400m d’altitude, plus de lamas que d’humains, point de départ de notre marche d’approche.
Nous nous mettons en route pour 3 heures de marche à travers l’Altiplano, royaume des lagunes, des plaines peuplées de camélidés intrigués par notre présence, et des montagnes imposantes et majestueuses, intimidantes mais séduisantes.
Nous atteignons notre camp de base vers 17h, au bord de la Laguna Chiar Khota (4,700m), au pied de la raison de notre venue, le Condoriri.
Nous montons la tente, mangeons, et nous couchons vers 20h.
1h00, le réveil sonne. Il doit faire -10 degrés, la tente est congelée à cause de la condensation qui a gelé. Il faut se faire une violence bien particulière pour parvenir à sortir de son duvet chaud, avec comme motivation une ascension de nuit de près de 1000m de dénivelé, dans le froid et l’obscurité… Bref, on repousse le réveil!
1h30. Branle-bas de combat. On s’équipe et on démarre. Nous partons à 2h15. On ne sait pas où on va, en tout cas pas précisément.
3h30. Passage difficile en roche (nous n’avons pas trouvé le chemin…). Besoin d’escalader. Ma lampe frontale me lâche. Je suis furieux et inquiet. Les pierres ne tiennent pas, l’impression que chacune peut lâcher à tout moment vous glace le sang. Benjamin me rassure, et m’éclaire. Je parviens à passer le passage difficile. Nous faisons une pause, mangeons une barre céréale, buvons un peu d’eau et mâchons de la feuille de coca.
4h30. Après avoir évolué péniblement dans un pierrier sans fin, nous atteignons la neige. Nous faisons une pause pour nous équiper (piolet, crampons, baudrier, sangles, broche à glace, bloqueur, poulie…) et nous encorder. Nous remâchons de la coca. Je suis content d’être sur la neige, avec des crampons et un piolet vous vous sentez intouchable.
Nous attaquons le premier couloir, finalement assez simple.
6h15. Nous arrivons enfin sur le plateau. Les premières lumières du jour se font voir. J’ai l’impression d’être dans le nid du condor, entre ses ailes, sa grande tête me faisant face.
On commence petit à petit à voir apparaître les reliefs, les couleurs, les formes. Le plateau est gigantesque, on s’apercevra un peu plus haut qu’en contre bas se trouve une lagune verte émeraude magnifique. Altitude: 5,100m. Nous faisons une pause.
7h30. Il fait jour. Notre traversée du plateau s’est fait sous un ciel rose, rouge, jaune et violet. Nous atteignons le bas de la tête et nous découvrons enfin LE couloir. Ce couloir est une goulotte de neige, qui s’affine en montant, d’une soixantaine de mètres, à 70 degrés. A sa fin, l’arrête finale, le but ultime, la récompense.
Nous l’entamons tranquillement, la neige est dure, les crampons et le piolet prennent bien. C’est physique mais plutôt divertissant. Aux deux tiers le couloir doit faire 1m20 de large.
10 mètres avant d’en venir à bout, Benjamin me dit, “Ah ouais là c’est rock’n’roll”. Je ne comprends pas bien. Je ne vois pas bien comment la situation peut être plus “rock’n’roll”, je suis dans un couloir étroit d’un mètre vingt, avec 50m de gaz dans le dos… le mur de neige se transforme en chute de glace. Flippant! Nous n’avons qu’un seul piolet chacun, pas idéal pour ce genre de passage. Benjamin passe tranquille. Je le suis, être sur la glace ne me rassure pas trop. Je le fais savoir à Benj, qui, toujours aussi tranquillement, plante une de ses broches à glace, y passe sa corde et m’assure. Je reprends des couleurs et termine le couloir.
8h20. Nous sommes sur la crête finale. Il n’y a presque pas de vent, il fait un temps radieux.
Nous ne pensions pas trouver une crête comme ça. D’un côté 600 mètres de vide, de l’autre peut être 300, parfois étroite de 60cm et qui monte assez fort avec une petite partie en mix (neige et roche). Les sensations sont au rendez-vous. On est terriblement tiraillé entre regarder ses pieds et rester concentrer et lever la tête pour admirer ce paysage à couper le souffle. Nous restons concentrés.
9h. Benjamin s’arrête, se retourne, Ouvre grand ses bras (1m92 quand même le type) dans lesquels je me plonge en criant “On l’a fait gros, on l’a fait”. Nous sommes au bout de la crête, à 5,648 mètres au-dessus du niveau de la mer. Nous ne pouvons aller ni plus loin, ni plus haut. L’ascension est terminée. Nous avons réussi.
C’est difficile d’expliquer où on trouve de la satisfaction à se faire mal (croyez moi c’est dur!) comme ça. Enfin, monter une montagne, à pied, pour la redescendre, à pied, se fatiguer pendant 7 heures à atteindre un sommet sur lequel on ne reste finalement que 10 minutes parce qu’on se gèle, c’est quand même assez bête, en soi.
13h. Nous sommes redescendus. Nous avons descendu la goulotte en rappel ainsi qu’une une autre partie où la neige était suffisamment dure et la pente suffisamment raide sur les fesses (eh, faut aussi savoir se faire plaisir!). Là l’ascension est terminée, vraiment.
Nous nous déshabillons, sortons nos duvets de la tente humide à cause de la glace qui a fondu et nous allongeons au soleil, heureux, épuisés.
Nous avons marché 11 heures au total, monté et descendu 948 mètres de dénivelé.
Après deux heures de repos/sieste, nous déjeunons, rangeons tout le matériel, replions la tente et levons le camp.
C’est très péniblement que nous remarchons 3 heures de plus avec chacun 12 kg dans le dos pour rentrer à Tuni où nous trouverons une mobilité pour rentrer chez nous (enfin… 4 au total!).
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Plus d’infos sur:
– Toutes nos randonnées, trekking et ascensions en Amérique du Sud sont sur le site thématique Terra Cordillera
– Nos expéditions trekking et andinisme en Bolivie
– L’Ascension du Condoriri
– Nos projets de tourisme communautaire dans le village aymara de Tuni en Cordillère Royale.
Par Jules Tusseau, Terra Andina Bolivia. |
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