William, qui es-tu ? Quel est ton parcours et comment es-tu arrivé chez Terra ?
Je suis ingénieur en télécommunications de formation, j’ai plutôt un profil technique, et avant de rentrer chez Terra, je suis passé par plusieurs étapes dans mon parcours, d’abord le monde de l’ingénierie, en France mais surtout à l’international, au Moyen-Orient et en Amérique Latine. Après cela, je me suis consacré à une association dont je m’occupais déjà, et j’ai créé une fondation au Pérou, en Equateur et au Mexique, qui s’appelle Latitud Sur, qui a mis en place des projets de développement auprès des communautés indiennes sur toutes les questions de préservation culturelle, pratiques et médecine ancestrale, et aussi de protection de l’environnement, conservation de forêts, ce qui m’a amené forcément à m’intéresser à toutes les problématiques agricoles, alimentaires, protection et régénération de la terre. Le dernier grand projet que j’ai pu faire dans ce cadre-là, c’était avec la fondation GoodPlanet, de Yann Arthus Bertrand, qui a financé la replantation d’espèces forestières en voie de disparition.
C’est évidemment en travaillant pour la fondation, au contact de plein de gens dans le milieu des ONG, que j’ai pu développer cette sensibilité environnementale et sociale. J’ai même participé au début des réflexions sur le Grenelle de l’environnement, en France en 2007, à l’époque on se réunissant avec Nicolas Hulot, Yann Arthus-Bertrand, au siège du WWF, c’était intéressant, il y avait des ateliers pour construire les propositions et moi j’y allais en tant que représentant d’une ONG travaillant sur la protection des peuples premiers. L’époque des écologistes n’ayant pas encore pris conscience du storytelling ou des citoyens anesthésiés par la consommation qui semblait inépuisable, conso des voyages notamment…
J’ai pris ensuite la décision d’aller m’installer en Equateur pour développer justement ces projets-là, plutôt que de rester en France. J’ai conçu et construit un bateau en amazonie péruvienne, qui continue aujourd’hui à tourner à Iquitos. C’est un bateau de 22m avec deux ponts, qui était destiné à relier les communautés autochtones qui avaient perdu leurs connaissances sur les plantes médicinales, et nous on les mettait en relation avec d’autres connaisseurs des plantes médicinales, des “curanderos”, soigneurs et chamans. On les emmenait en bateau pour aller à nouveau ré-enseigner leurs savoirs dans les communautés. Il y avait donc la dimension pratique de la connaissance des plantes mais aussi la dimension spirituelle de ces peuples dans leur relation avec la nature. J’emmenais souvent des groupes de touristes qui cherchaient à découvrir les médecines traditionnelles dans les communautés indiennes en totale immersion. On vivait dans des conditions extrêmement rustiques et cela m’a permis de voir le monde à travers les yeux des Indiens. J’ai appris énormément de choses.
Comme autres missions éparses, j’ai été conseiller auprès du ministre de l’agriculture en Equateur pour des questions de légalisation de territoires indiens. J’ai aussi fait une incursion dans l’art contemporain pendant 2 ans, j’ai monté une galerie d’art virtuelle et c’est assez typique de ma part, j’aime tellement les idées avant-gardistes que j’essaie de les appliquer à des moments absolument inopportuns.
Puis ces projets ont été mis en pause lors du changement de gouvernement en Equateur en 2013. C’est à ce moment-là que m’a été proposée la gérance de l’agence Terra en Equateur. C’est venu au bon moment, basé un peu sur l’expérience que j’avais eue avec les touristes en Amazonie, et donc je suis rentré chez Terra et je suis devenu associé du réseau d’agences réceptives Terra Group (19 comptoirs sur 4 continents).
Quelle est ta fonction actuelle et quels sont les motifs qui t’ont conduit à mener le projet interne RSE ?
J’ai arrêté la gérance de Terra Ecuador en décembre 2019, et j’ai souhaité proposer quelque chose dans quoi j’ai le plus à apporter, c’est à dire les préoccupations socio-écologiques au sein des entreprises. J’avais déjà tenté de distiller ces idées-là chez Terra et maintenant ça rentre dans les esprits, surtout en vérité grâce au coronavirus.
L’idée a donc été de proposer une démarche pour avancer sur les questions de RSE, c’est à dire ce que je définirais comme la responsabilité des entreprises face à la société, avec trois volets : écologique, social, économique. Cela traverse tout. Cela inclut tout. Terra est, comme toute entreprise, un acteur économique qui génère des bénéfices en exploitant des ressources, et donc responsable des impacts qu’elle a sur l’environnement, l’économie et la société. On pourrait juste se contenter de générer des bénéfices, mais si on veut aller au-delà, cela revient à une question de valeurs qui requièrent un niveau d’engagement de nature parfois quasi spirituelle, que tu vas rajouter à ton entreprise et c’est pour ça qu’on parle aujourd’hui de raison d’être de l’entreprise et pas juste d’objectifs froids et marchands. C’est ce que tu vas apporter à la société, ça c’est intéressant, c’est une remise en question très forte, ça veut dire que tu es obligé de redéfinir tes valeurs, mais pas juste pour les déclarer, comme du greenwashing en écologie, ou du greenwashing en version affectif, ou de tout ordre, c’est facile de le déclarer.
Ce qui me paraît intéressant avec la démarche RSE, c’est que tu remets au coeur du processus des indicateurs humains et environnementaux que tu vas suivre. Tu mets en place un protocole avec quelque chose qui permettra d’en mesurer les impacts. Par exemple mesurer si le gérant suit le bien-être des employés. C’est un mélange de démarches qualitatives et de choses concrètes qu’on peut faire en plus pour améliorer tout ça. Est-ce que le gérant est juste évalué sur ses résultats économiques ? Peut-être qu’il serait intéressant, vu ce que l’on vit et les questions que l’on se pose, de mesurer la satisfaction des employés, ou encore de suivre notre impact environnemental, et que cela soit un objectif du gérant.
Il y a des valeurs humaines que nous portons mais dans la vie réelle, dans le concret, on ne les met pas suffisamment en application. C’est une forme de dissonance cognitive. Avec la crise du covid, cela semble une plus grande évidence que la RSE, son esprit, est une question fondamentale et essentielle pour préparer l’avenir, notre avenir en tant qu’acteur économique mais aussi en tant que membre de la grande société humaine, face à un danger imminent qui nous concerne tous.
Peux-tu détailler la démarche RSE et les objectifs à court/moyen/terme du projet ?
Depuis janvier 2020 plusieurs agences Terra se sont engagées dans ce processus, sur la base du volontariat, et je les accompagne dans leur cheminement. Je me suis donné 1 an pour amener les agences aussi diverses soient-elles, avec la diversité des personnes qui les composent, à essayer d’avoir un socle commun et qu’on arrive à la fin de l’année 2020 à pouvoir discuter de ce sujet important. Avec le virus, la démarche RSE est devenue une évidence beaucoup plus rapidement et tant mieux.
La démarche que j’ai proposée est de commencer par deux ateliers de sensibilisation de 2h que je présente à tous les employés de l’agence. Le premier atelier porte sur la situation actuelle, sur ce qu’il se passe au niveau de la société et la participation du monde du tourisme dans cette situation-là. En essayant d’être le plus objectif possible, pas alarmiste, le plus réaliste aussi en présentant des sources fiables, les moins controversées.
La deuxième session, c’est: “j’ai réussi à vous déprimer dans la première session, à vous mettre au plus bas et à vous faire prendre conscience de la situation désastreuse dans laquelle on est mais je vous propose maintenant de construire un avenir possible”. On parle non seulement de ce qu’on peut construire comme démarche RSE au sein des agences, mais en plus je leur propose de revisiter la production de voyages en n’étant plus juste des vendeurs, des conseillers voyages passifs qui récoltons les envies et désirs des voyageurs, mais d’aller au-delà et surtout de regagner un pas d’avance par rapport aux autres agences, celui d’être acteur du voyage de nos clients et de leur proposer des activités de prise de conscience qu’ils n’auraient pas forcément envisagées. Il faut qu’on les persuade d’aller faire telle ou telle activité qui va les faire sortir de leur zone de confort de façon à générer une réflexion chez eux. on redevient alors des acteurs et on retrouve de belles lettres de noblesses dans le monde du voyage.
A la fin de la deuxième session, je leur explique l’outil de diagnostic RSE, le plan d’actions et le suivi qu’on peut faire. Je leur fournis les premiers outils et des suggestions d’actions concrètes. J’ai élaboré un outil, rien de sophistiqué, une compilation de ce que j’ai obtenu de divers organismes de certification. Je les accompagne et je leur suggère des bonnes actions que j’ai repérées chez d’autres Terra et en dehors de Terra. J’étais en contact avec des responsables RSE chez d’autres agence réceptives. On a échangé nos bonnes pratiques.
Avec cet outil de diagnostic, on fait un travail avec les équipes et on définit les actions concrètes à mener avec des indicateurs et des plans de développement et mon objectif, c’est de suivre ce travail-là, la mise en place et concrétisation de ces choses-là. Je ne veux aucunement faire du greenwashing, de la communication pour de la communication, ce n’est pas intéressant, il faut communiquer sur des choses réelles et profondes, sur ce qu’on peut faire, des choses concrètes. Le fait de faire des actions, aussi humbles soient-elles, cela permet de générer une culture de la responsabilité. Quand tu commences à réfléchir sur le tri sélectif, au bout d’un moment tu te dis :”je vais peut-être réfléchir à mon mode de consommation, peut-être que je n’ai même pas besoin de faire du tri si je consomme autrement”. Et tu commences à cheminer. Le chemin est important, et pour arriver à la conscience il faut passer par la connaissance. Si tu ne t’intéresses pas au sujet, tu ne peux pas facilement arriver à la conscience sur ces questions-là. D’autant plus que la RSE est une démarche volontaire, c’est au-delà de juste appliquer des lois dans ton pays, tu as une notion d’effort qui n’est pas forcément reliée aux bénéfices économiques. Lorsque l’on aura terminé, on réfléchira à comment communiquer de façon à inspirer d’autres acteurs du milieu.
Comment le projet a-t-il été reçu par les associés, les gérants, et les équipes ?
Quand j’ai proposé la démarche aux associés et gérants Terra, à Quito en décembre 2019, ça n’a pas été simple, car ce n’est pas comme dire “on va participer à un salon pour ouvrir tel marché”, où on a relativement facilement un consensus, dire “on va changer carrément notre production pour être plus responsable, et faire vraiment attention à l’écologie”, ça se base sur un certain nombre de valeurs qui ne sont pas des décisions pragmatiques pour gagner plus d’argent, et on peut difficilement avoir l’unanimité sur ce genre de terrain, ça dépend des personnalités, de la sensibilité de chacun. Il y a aussi une question de génération. Ma génération est nettement moins préoccupée par les questions écologiques. Les générations qui aujourd’hui sortent des écoles, ça leur paraît une évidence. Les préoccupations de ma génération étaient peut-être plus liées aux carrières professionnelles, à briller dans la société et aux résultats économiques. Les nouvelles générations, elles cherchent du sens, avant même les questions de salaires, même si évidemment, ce n’est pas aussi radical que ça, mais le sens, la raison d’être de leur travail est importante.
Quand j’ai commencé le processus de RSE, j’ai eu un retour des équipes extrêmement positif, j’étais surpris, je ne m’attendais pas à ça, je m’attendais à galérer en fait. Il est évident qu’il y a un aspect générationnel à considérer. Les plus de 40 ans ont peu ou jamais été interpellés sur les aspects de la RSE, ni durant leurs années de formation, ni au début de leurs carrières professionnelles. On voit bien, par contre, que les plus jeunes sont très familiarisés avec ces problématiques et accueillent, naturellement ce type de démarche.
Comme j’ai proposé la démarche aux agences, sur la base du volontariat, à la carte, elles ont répondu, chacune à leur rythme, et se sont engagées à divers niveaux, car ça dépend du temps qu’elles veulent y consacrer, et elles ont aussi été impactées différemment par le virus. J’essaie de faire en sorte de rassembler les outils, les réflexions faites au sein de Terra pour en faire bénéficier les autres quand ils le souhaitent. Par exemple, là je suis en train de terminer l’élaboration d’un outil de calcul des émissions de CO2 pour tous nos voyages.
On peut dire qu’aujourd’hui il y a des démarches RSE en cours chez Terra, elles sont diverses et à des rythmes différents, on pourra faire un point fin 2020 avec les agences qui se sont engagées dans cette voie-là, voir ce qu’elles considèrent bénéfiques et ce que peut-être nous pourrions améliorer et surtout, juger si la démarche est utile selon eux.
Au regard de cette démarche RSE, comment imagines-tu l’agence de voyage réceptive de demain ?
Je l’imagine comme un expert de terrain et un fournisseur d’expériences locales. C’est à dire une agence avec des personnes qui connaissent bien leur destination et qui vont rendre des services qui vont dépasser le cadre du voyage. On pourrait très bien imaginer que les entreprises de productions audiovisuelles ne vont plus pouvoir voyager aussi facilement et vont requérir des agences réceptives des services qui étaient beaucoup plus confidentiels auparavant.
Je l’imagine aussi comme un facilitateur d’expériences alternatives au tourisme traditionnel. J’aimerais que l’agence réceptive de demain permette aux voyageurs de sortir de leur zone de confort pour participer à des activités qu’ils n’avaient pas prévues au départ et qui génèrent un déclic de conscience aussi minime soit-il.
La démarche RSE t’amène à réfléchir à d’autres choses, il y a la révision de la production de voyages en conscience, et il y a un autre chemin qui est en train d’être creusé fortement, ce sont les projets satellites. Quand tu fais de la RSE, tu es amené à faire de la gestion de risques, et à identifier les menaces qui pèsent sur ton entreprise et ce que tu fais pour les minimiser, les éviter ou les assumer. Cela t’amène à te poser des questions de résilience : est-ce que mon entreprise est capable de résister dans un contexte de perturbations externes très fortes ? La diversification de projets est une piste et c’est en train de cheminer fortement.
Moi, mon rêve est de monter un écovillage version 2.0 dans lequel tu intègres une composante touristique d’agence locale, des propositions d’ateliers d’apprentissage, des activités de permaculture, un marché local, un lieu d’incubation d’initiatives de transition, enfin, tout un ensemble de rêves agglomérés, un projet qui il y a un an paraissait inconcevable et farfelu à beaucoup de personne et qui aujourd’hui intrigue.
Ces projets satellites ne sont pas forcément liés au tourisme, mais on sait très bien que le cas du covid est très particulier, ça nous a confinés, donc forcément, ça a arrêté énormément d’activités. Il y aura toujours du tourisme, peut-être pas international, mais au moins local. Donc si tu prends dans ton projet une composante de tourisme local, tu es dans l’échange, dans la nécessité de penser collectivité, c’est intéressant. Ces projets alternatifs, et là c’est un message d’espoir, ils peuvent intégrer tout le monde, ça donne des perspectives, ça redonne une dynamique.
Interview de William Wadoux, ex-gérant Terra Ecuador et associé Terra Group.. |
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Propos recueillis par Virginie Roé |