Carnet de voyage en terre du Rooibos, texte et photos de Morgane, conceptrice voyages chez Terra South Africa.
Le voyage me mène cette fois-ci à l’exploration des régions les hauts plateaux du Bokkeveld & du Cederberg. Je pars avec notre partenaire Yumanlink qui accompagne des agriculteurs à travers le monde dans l’accueil de voyageurs. C’est à la rencontre des petits producteurs de Rooibos, et dans les coulisses de cette boisson rouge et suave, trésor de biodiversité, qui pousse exclusivement sur les hauts plateaux sud-africains. Notre mission sera de partir sur la route du Rooibos, d’explorer cette région et de revenir avec tous les ingrédients pour concocter un circuit authentique, hors des sentiers battus, à la rencontre des communautés de ces régions arides & reculées.
Jacob et ses drôles de dames
C’est par les hauts plateaux du Bokkeveld où se trouve la coopérative d’Heiveld que commence notre périple.
La boisson nationale sud-africaine
L‘Afrique du Sud se caractérise par la diversité de sa population, de ses paysages mais également de sa faune et sa flore. Le fynbos « buisson fin » en afrikaans, en fait partie. Cette végétation endémique se réfère à toutes les plantes à aiguilles de cette région, réputée pour sa grande diversité grâce à des hivers généralement froids et humides et des étés chauds et secs. Dans le fynbos on trouve bien sûr le célèbre et mythique Rooibos, boisson nationale sud-africaine, ainsi que le honeybusch et le buchu, bien connues des bushmen pour leurs vertus médicinales.
Le rooibos : le red bush ou Rooibos en afrikaans est un buisson du désert dont les feuilles et la tige sont utilisées pour faire du thé. Cette plante qui ne contient pas de théine, est connue pour ses propriétés anti-oxydantes, anti-allergéniques, sa richesse en minéraux et oligo-éléments. Ces arbustes sont endémiques et poussent uniquement au nord-ouest du Cap. Son appellation de « thé rouge » ne fait pas référence à la plante, mais à son processus de fermentation semblable à celui du thé noir.
L’histoire agraire de l’Afrique du Sud est marquée par l’apartheid. La réforme agraire mise en place par le gouvernement de Nelson Mandela en 1994, n’a avancé que timidement malgré l’objectif de redistribuer les terres agricoles. Le marché du rooibos se développe depuis la fin de l’apartheid, notamment à l’international. Bien qu’elle soit une culture traditionnelle des populations natives et noires d’Afrique du Sud, la commercialisation et l’exportation du rooibos sont restées maitrisées par les Blancs. Devenus propriétaires depuis la réforme agraire, ils cultivent des surfaces modestes de 1 à 3 hectares, de manière traditionnelle. Depuis les années 90, quelques communautés noires et « coloured » (métisses) se sont lancées dans la commercialisation de leurs productions. Pour les paysans noires et métisses de la région de Clanwilliam, le commerce équitable est une alternative qui leur permet d’accéder à la terre et d’être indépendants et la vente de rooibos équitable permet de doubler le prix payé aux producteurs.
Bien qu’ils aient aujourd’hui le droit d’être propriétaires, les moyens financiers de ces familles sont trop fragiles pour acheter des terrains. La mise en commun des terres et de l’exploitation sous forme de coopérative leur permet de dégager davantage de moyens. C’est dans ce contexte que nous sommes allés rencontrer et échanger avec les petits producteurs de deux différentes coopératives de rooibos & leurs familles, situées dans ces régions arides, difficiles et pour autant si riches et fascinantes.
Nous quittons le Cap pour rejoindre la ville de Clanwilliam « capitale du Rooibos » puis Nieuwoudville, petite ville rurale située à 1000 mètres d’altitude à quatre heures de route au nord-ouest du Cap, sur les hauts plateaux quasi désertiques. C’est à partir de là que les choses commencent. Nous quittons l’asphalte, passons un col puis prenons pendant plusieurs heures des pistes de sable cahotantes. Nous voilà à 1000m d’altitude, sur cette terre rouge, hostile, aride habitée par le fynbos. Après plusieurs passages à gué pour bétail ouverts puis refermés, nous apercevons le panneau indiquant notre hébergement, Rietjieshuis qui jouxte le petit village de Melkraal.
À une heure de piste, un groupe de femmes, toutes mariées à des producteurs de Heiveld, tiennent un modeste mais chaleureux écolodge dans un paysage de bout du monde. Ecolodge que Tempest a fondé avec un groupe de femmes du village à la force de ses bras dont les revenus leurs permettent d’améliorer leur quotidien. Tempest, toute frêle, du haut de ses 67 ans, nous accueille chaleureusement avec ses acolytes, Maria et Katriena. Avant la construction de cet ecolodge, elles s’échinaient du matin au soir dans les plantations de thé. Jacob, 84 ans, le mari depuis peu de Tempest, ne tarde pas à nous rejoindre. Il ne cessera de rire à chaque entrevue, que ce soit pour nous saluer ou nous souhaiter bonne nuit, (en afrikans of course !).
Au Rietjieshuis Eco Lodge, on s’endort avec les moutons qui bêlent et on se réveille avec le chant du coq. Nous vivons selon le rythme du soleil ; l’électricité alimentée grâce AU panneau solaire se faisant rare. Le rooibos est omniprésent : il se boit du matin au soir, il se trouve dans les yeux, les paroles des habitants et dans les paysages à perte de vue. On boit une tasse de rooibos fumante au lever du soleil avec ces couleurs époustouflantes sur ce désert quasi aride, alors que les femmes font déjà cuire le pain sur le feu. Thempest dîne toujours en compagnie de ses hôtes ! C’est autour d’un dîner copieux préparé avec soin sur le feu qu’elle nous conte avec fierté ses aventures à Paris où elle s’est rendue il y a 4 ans. C’est la seule à manier la langue de Shakespeare. Elle l’a apprise en prenant soin d’un garçon dont elle s’occupait lorsqu’ elle vivait au Cap avant de retourner dans son village d’enfance.
Le lendemain, nous nous rendons à la coopérative d’Heiveld. Fondée en 2001, cette dernière est le fruit d’une collaboration entre petits producteurs noirs et métis du Sud-Bokkeveld et compte aujourd’hui une soixantaine de membres. Lors de sa création sous forme de coopérative, l’organisation reçoit le soutien d’ONG européennes et sud-africaines avec lesquelles elle prépare la certification biologique et équitable de sa production. Les dimensions sociales et solidaires sont au cœur de ce projet de développement communautaire. La coopérative d’Heiveld a permis l’amélioration du quotidien des familles.
Outre une production respectueuse de l’environnement, la coopérative Heiveld encourage aussi la promotion des femmes dans son organisation interne. Entraînés dans ce cercle vertueux, et encouragés par le succès de cette démarche solidaire, plusieurs producteurs ont offert un bout de terre à leurs épouses pour qu’elles deviennent elles-mêmes propriétaires. Les femmes sont omniprésentes, depuis la cueillette jusqu’à la direction de la coopérative. Je fais la rencontre de Lestie (Dirigeante de la coopérative et de Renée (Responsable des ventes), toutes deux, jeunes et déterminées.
Je fais également la rencontre de l’équipe de l’ONG Indigo, installée à Nieuwdvouville tout près de la coopérative, qui soutient Heiveld et travaille sur la recherche de la culture de la terre face aux changements climatiques et au réchauffement de la planète.
Le Lendemain, je me retrouve toujours plus immergée dans le monde de cette plante ancestrale aux vertus exceptionnelles et découvre les coulisses de la cueillette et de la transformation. A chaque rangée, hommes et femmes de tous âges coupent 2/3 du buisson. Je n’ai pas de mal à imaginer les conditions difficiles de la cueillette : chaleur, position courbée, risques de blessures avec les faucilles… Les brins sont ensuite rassemblés sous forme de ballots, qui seront par la suite transportés par tracteur jusqu’à la fameuse cour à thé. Les ballots sont sortis un par un puis pesés. La transformation peut commencer : les brins sont d’abord hachés à l’aide d’une machine assez archaïque alimentée grâce au moteur d’un tracteur, puis étalés dans la cour à thé pour pouvoir donner place à l’oxydation, grâce à la chaleur. Le vert vif donne alors place au célèbre rouge que l’on retrouve dans nos tasses. Arrosage rapide, fermentation puis séchage, le tout en à peine 48 heures. J’apprends qu’un plant de rooibos vit environ sept ans et que ce n’est qu’après un an et demi que la première récolte sera possible. Le buisson atteint son apogée au bout de trois ans puis baisse progressivement. Avant de mourir, les aiguilles se teintent de rouge.
Nous allons à la rencontre de l’équipe des cueilleurs constituée d’hommes et de femmes, pendant la pause déjeuner. Un peu étonnés mais ravis de notre visite, ils nous transmettent leurs connaissances, nous parlent de leur quotidien et de leur culture. C’est une vraie chance, un moment privilégié d’échange à double sens, qui fait la raison de ce voyage.
Abraham et ses ânes
Après ces quelques jours passionnants, passés sur ces hauts plateaux, on troque les moutons du Bokkeveld pour les ânes du Cederberg. Un nouveau paysage nous attend et nous reprenons la route, toujours cahotante, poussiéreuse où nous croisons quasi aucun autre véhicule. A nouveau, nous devons ouvrir puis refermer derrière nous, les passages à gué pour bétail. Nous voilà arrivés dans la région du Cederberg.
Sur les plateaux montagneux au nord du Cap où se conjuguent vent, chaleur et sècheresse, la région ne manque pas d’atouts touristiques : grands espaces, paysages somptueux escarpés qui séduiront les amoureux de la nature en particulier de la randonnée, de la botanique et de l’observation des ciels étoilés. Dans les montagnes du Cederberg, (empreinte des Bochimans) les premiers habitants de la région ont laissé des peintures rupestres témoins de la riche culture des San ou Bochimans.
Nous arrivons dans la petite ville d’Wupperthal, fondée par les Moraves dans les années 1830. Une véritable petite oasis verdoyante au milieu des collines rocailleuses. Juchée dans les montagnes accidentées de la réserve naturelle de Cederberg, dans le nord de la province du cap occidental de l’Afrique du Sud, se trouve la vallée de Wuppertal. Isolée du monde, un hameau de cottages et une église au toit de chaume y furent construits par des missionnaires allemands dans les années 1830 parmi un petit groupe de familles Khoikhoi. L’introduction des rites chrétiens et la pratique de l’agriculture européenne firent croître la communauté.
On traverse des collines rocheuses de toutes formes. La végétation d’apparence modeste explose en hiver avec la pluie. On croise sur les chemins rocailleux et ensablés des troupeaux d’ânes et de moutons. Je me croirais presque en Corse.
Nous posons nos valises dans le hameau d’Heuningvlei, situé au fond d’une vallée avec de jolies petites maison aux toits de chaume, où de beaux jardins potagers et arbres fruitiers se succèdent et où l’âne est l’unique moyen de locomotion. Abraham nous accueille chaleureusement. Il sera notre relais anglophone dans ce village où seul l’afrikaans est parlé. Cet homme élégant nous emmène prendre de la hauteur au détour d’une marche sur le hameau puis nous offre un moment fort en adrénaline avec un tour en carriole tirée par des ânes.
Nous admirons le coucher de soleil sur les collines, depuis le joli hameau de Witwater « eau blanche ». Witwater ne compte que 25 familles et sans doute le double d’ânes.
Nous rencontrons Barend, membre et gérant de la coopérative de rooibos d’Wupperthal. C’est à nouveau un homme passionné, fier et courageux qui nous raconte l’histoire de la coopérative, de l’importance du Rooibos, bien plus qu’une simple plante, elle s’inscrit dans l’héritage de toute une communauté.
Ces coopératives sont des initiatives remarquables qui donnent la chance à des populations métisses vivant dans des zones reculées et peu fertiles de gagner en indépendance, fierté et revenus grâce à la culture du Rooibos.
Nous repartons les yeux et la tête remplis de beaux paysages, de belles et émouvantes rencontres. Sur le chemin du retour nous donnons un « lift » à Abraham et son fils, qui comme chaque semaine se rendent à Clanwilliam pour faire le plein de denrées alimentaires. Habituellement c’est à pied qu’ils s’y rendent et il leur faut bien plus de 2 heures pour rejoindre la ville. « Nous avons le temps et je ne me lasse pas de la beauté du paysage » comme me souligne Abraham aux yeux rieurs.
Je ne boirai plus une tasse de Rooibos sans penser aux rencontres avec ces hommes et ces femmes qui ont mis tant de passion et d’efforts pour produire la boisson nationale sud-africaine !
J’ai été heureuse et honorée d’avoir pu rencontrer ces producteurs, qui malgré de rudes conditions, communiquent et transmettent la joie et la fierté de faire de leurs productions un espoir pour leurs familles et pour l’avenir.
Ce séjour a conforté l’une de mes certitudes : la magie du voyage passe par les rencontres.
«Le voyageur est celui qui se donne le temps de la rencontre et de l’échange»
Fréderic Lecloux
Contactez Morgane pour en savoir plus sur son séjour.
Voici le circuit spécialement élaboré par Morgane suite à sn voyage de reconnaissance en terre du rooibos :
Et pour aller plus loin :