Carnet de voyage au Yucatan par Corentin, logisticien chez Terra Maya.

 

 

Cancún, ses hôtels de luxe et ses plages, le petit paradis d’Holbox, la majestueuse Chichen Itzá, etc. Autant de destinations mondialement connues et reconnues qui attirent chaque année les touristes du monde entier.

Mais la péninsule du Yucatan a bien d’autres choses à offrir : petits cenotes intimistes perdus au bout d’une piste, savoir-faire artisanal hors du commun, sources d’eau douce paradisiaques dans la mangrove, histoires de la Guerre des Castes à écouter de la bouche des anciens du village, etc. Autant de petites perles disséminées dans cette grande plaine recouverte d’une forêt luxuriante, le plus difficile restant … de les découvrir.

Et pour ce faire, rien de tel qu’un bon vieux road trip. Nous sommes donc partis en voiture avec Adelind pendant une semaine de repérage. Appareils photos et caméra chargés, calepins, hamacs dans le coffre toujours prêts à dépanner en cas de pépin (qui est déjà tombé en panne au milieu de la jungle saura de quoi je parle), anti-moustique, crème solaire et chapeaux de paille obligatoires. On fait le plein et c’est parti!

Première étape: Yokdzonoot, dans le cenote du village où il fait toujours bon piquer une tête au milieu des énormes racines des arbres en surplomb. Tout en observant la multitude d’oiseaux Tho qui volent au dessus de nos têtes en chassant les insectes

On en profite pour manger des panuchos dans l’excellent restaurant de la coopérative. Puis, on reprend la route pour arriver au cenote Chooj-Ha, le plus impressionnant que je connaisse. José nous y accueille, fusil à la main (il nous jure qu’il ne chasse pas les touristes, nous voilà rassurés).

La pluie torrentielle fulgurante dont le Yucatan a le secret nous force à nous abriter sous un petit toit de palme. Cela nous donne le temps de discuter avec ce personnage haut en couleur. Nous sommes même invités à la chasse. La prochaine fois, nous n’y manquerons pas ! Il nous dit également qu’un Alux (sorte de lutin habitant le lieu, dans la cosmovision maya) habite dans un des recoins de la grotte… Espérons qu’il soit accueillant!

La pluie se dissipe enfin et nous entrons dans le cenote par un grand escalier en bois. Totalement sous-terrain, on reste bouche-bée devant l’eau bleue turquoise. Les énormes colonnes de stalactites se jettent du plafond jusqu’au fond du cenote. Cela donne l’impression d’une cathédrale gothique qu’on aurait enterrée là, au milieu de la forêt. Les masques et tubas loués sur place permettent d’explorer les cavités sous l’eau avec une lampe de poche. On retourne en enfance le temps d’une baignade…

Puis nous rejoignons Tulum où nous étions invités à l’hôtel Don Diego de la Selva. L’occasion pour nous de le connaître enfin en vrai. Accueil chaleureux, chambres charmantes, petite terrasse donnant sur la fameuse selva, nous sommes aux anges. On nous dit que le bar Batey fait de très bons cocktails et donne des concerts le soir. En bons professionnels, nous sommes allés vérifier l’information sur le terrain. Il faut bien faire quelques sacrifices…

Le lendemain, rendez-vous avec Yan, qui a construit plusieurs cabanes dans les arbres pour les louer à la nuit. Direction l’intérieur des terres à une vingtaine de minutes de Tulum, où la forêt est la plus haute. Une énorme palapa qui couvre la cuisine et la salle à manger, cinq cabanes très aérées (et avec moustiquaires, bien sûr), une petite cabane pour les sanitaires, un potager… Et c’est tout. Pas de voisin, pas de passage, les grillons et les oiseaux de la jungle comme seule bande son.

Yan nous parle avec passion des étapes de son projet, de sa nouvelle vie dans la forêt avec sa femme, de ses échecs et de ses réussites… Le lieu est enchanteur, l’homme rayonne de buena onda, pendant un moment, on s’est demandé si on n’envoyait pas tout balader pour rester avec lui construire des cabanes.

Mais le devoir nous appelle, et la route n’attend pas, nous partons pour Dos Palmas. Ex-campement scientifique, non loin du cenote Dos Ojos qui accueille parfois des touristes. Quelques cabanes aux toits de palme avec de la moustiquaire en guise de mur. On y plante sa tente ou son hamac, un petit cenote bien frais pour lutter contre la chaleur étouffante de la jungl. Le lieu à son charme, il ne conviendrait cependant qu’aux plus roots de nos clients. On ne peux pas gagner à tous les coups.

Pour notre part, la nuit seuls au milieu de la jungle reste une expérience inoubliable. Au détour d’une conversation avec les maçons qui travaillaient là l’après-midi, nous apprenons qu’un des habitants du hameau voisin joue parfois de la musique dans un beau cenote sous-terrain non loin d’ici. Cela n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, nous irons le voir dès le lendemain.

Au petit matin, nous nous rendons au dit cenote Taak Bi Ha pour rencontrer Carlos, chef de la famille vivant là et responsable du lieu. En rentrant sous terre et en découvrant les vasques d’eau cristallines parsemées dans cette grotte au plafond bas, on imagine bien le concert mystique qui se joue ici parfois. Nous n’aurons pas la chance de l’écouter cette fois-ci (une reco, c’est aussi une course de fond!), mais promettons de revenir un jour.

Cap au Sud-Ouest à travers les petites routes pour rejoindre Tihosuco et y visiter le musée de la Guerre des Castes. Cette guerre opposa les Mayas révoltés contre le système de servitude crée par les Haciendas et les familles de grands propriétaires terriens pendant près d’un siècle. Visite très instructive, l’église du village au toit dévasté par la guerre vaut également le détour.

375 dos d’ânes et 128 nids de poules plus tard (la route dans ce coin est assez sportive, et la passion locale pour les dos d’ânes prévient toute tentative d’excès de vitesse), nous arrivons à notre destination du jour : la lagune de Sijil Noh Ha. Nous passerons la nuit. Quelques cabanes confortables, un restaurant avec de bons plats de la région et un mirador bordent ce joli lac aux multiples tons de vert et de bleu. Une bonne baignade pour se rafraîchir des 40 degrés de rigueur en cette saison, et au lit (ou au hamac)!

Le lendemain, Mike, le guide du lieu, nous emmène explorer la lagune en kayak et nous baigner dans la source qui le borde. On passe notre temps dans l’eau me direz-vous, venez donc nous visiter au mois de juin et vous comprendrez pourquoi! Après un petit déjeuner copieux, nous partons marcher en forêt pour observer la faune: singes hurleurs, oiseaux de toutes formes et tailles, jusqu’aux fourmis bicolores en forme d’abeille… Darwin se serait bien amusé par ici.

« – Tu vois hier en kayak, j’ai pêché un truc grand comme ça!

– C’était quoi ?

– Un raton laveur

– Ah…»

Nous nous dirigeons ensuite vers le village de Señor où nous avons rendez-vous avec Marcos. Leader charismatique de la coopérative de tourisme, il nous a concocté un programme aux oignons. Pour commencer, une démonstration de la technique ancestrale de fabrication de fibres de henequen (sorte d’agave utilisé depuis toujours pour la solidité de ses fibres), exécutée par Don Crecencio, l’un des anciens du village. Nous tentons nous-mêmes l’expérience, avec beaucoup moins de dextérité que le nonagénaire qui nous regarde galérer avec des yeux amusés.

Il nous montre ensuite comment fabriquer une fronde avec les fibres obtenues. Nous entamons alors un concours d’adresse, en tirant des citrons verts contre un arbre. Bien entendu, Don Crecencio nous ratiboise à plate couture.

Nous allons ensuite chez Doña Teodocia en mototaxi. Il s’agit d’une moto trafiquée à trois roues qui sert de transport en commun un peu partout ici. On a vu y monter des familles de 6, en plus du chauffeur, pour un moteur de 125cc… Heureusement que la péninsule du Yucatan est plate ! Le jardin de Doña Teodocia regorge de plantes médicinales et elle nous enseigne les propriétés et les différentes façons de les préparer. C’est la guérisseuse du village, et à en juger par le nombre de nonagénaire et de centenaires qu’on y trouve, ses remèdes doivent être efficaces.

Il était prévu que nous rencontrions un autre ancien du village, qui n’a finalement pas pu nous recevoir. Cet homme ne tarit pas d’anecdotes sur la Guerres des Castes : techniques de survie dans la forêt, stratégies d’embuscades et autres pièges mortels utilisés contre l’armée régulière. D’après Marcos, il serait âgé de 113 ans… Doña Teodocia devrait être remboursée par la sécu.

« – J’y trouve un goût de pomme.

– Y’en a… »

Nous voudrions rester plus longtemps avec ces gens sympathiques aux histoires passionnantes, mais quelques heures de route nous séparent encore de notre destination du soir: Tekit. Là nous attendent des amis, Manuel et Ana, qui organisent plusieurs animations touristiques originales. Le but est de montrer les activités du village telles qu’elles, sans mise en scène et sans baratin.

Le touriste curieux s’intègre et s’adapte au rythme du village qu’il est venu découvrir, pas l’inverse. Tôt le matin, Gloria, jeune guide dynamique, nous emmène rencontrer Marco le boulanger. Il nous enseigne l’art et la manière de confectionner sa brioche, recette transmise de père en fils et qui fait la prospérité de son négoce. Nos brioches sont beaucoup moins belles, mais on s’amuse bien.

Nous allons ensuite à la rencontre de Leidi, qui confectionne de magnifiques huipiles brodés de mille fleurs. Depuis quelques années, elle réhabilite plusieurs techniques de broderie oubliées en étudiant de vieilles étoffes. Pour ce faire, elle rencontre les dernières artisanes qui possèdent encore ce savoir.

Nous revenons chez Manuel boire une petite jamaica bien fraîche (tisane de fleur d’hibiscus), et Ana, son épouse, nous fait visiter le jardin. Une variété de fleurs, fruits et légumes y font le régal des abeilles melipona qu’ils élèvent précieusement. Ces abeilles sans dard endémiques produisent une très petite quantité d’un miel délicieux. Nous avons l’honneur de goûter plusieurs échantillons, un délice!

Puis, nous partons visiter deux ateliers de conception de guayaberas, élégantes chemises traditionnelles et spécialité du village. Elles sont généralement confectionnées par de petites entreprises familiales. Chacun sa spécialité: l’un coupe la toile, un autre la brode, un autre assemble. Toute la famille à son rôle dans la conception de ces vêtements de très haute qualité.

Nous rejoignons Jorge, notre hôte de cette nuit, pour partager un repas avec sa famille et visiter l’église du village. Fervant acteur de la sauvegarde du patrimoine de sa paroisse, il nous explique l’origine des différents objets de culte, l’histoire de l’église yucatèque, et nous emmène même sur le toit. Vue imprenable sur le village qui disparaît entre les hautes cimes des flamboyants et des amandiers.

Nous finissons la journée par une visite de la parcelle de Luis, agriculteur. Il est le premier dans le village à avoir osé la transition vers la polyculture. Il a parié sur une combinaison intelligente d’essences pour augmenter les rendements. Vu les tonnes d’avocats qui pendent des branches, il devait avoir raison. Nous mangeons una pitaya et une demi pastèque, et allons tous ensemble dans un petit restaurant du coin. Une journée chargée mais pleine de découvertes et de rencontres inoubliables.

Le programme du lendemain est un peu plus léger (encore que…): cap vers Ticul, le village des chaussures! La qualité de son artisanat y est reconnue au niveau international. Nous avons donc obtenu le contact d’un atelier de fabrication pour aller voir de plus près la conception du fameux Zapato de Ticul. Les gestes sont précis, rapides, sans bavure. On a l’impression que trois de ces artisans pourraient chausser l’île de France en une semaine. De manière générale, les gens que nous avons rencontrés nous ont impressionnés par la maîtrise de leur art. Mais notre prochain rendez-vous allait finir de nous ébahir.

À Muna, village dont la spécialité est la poterie, nous rencontrons Patricia, potière traditionnelle. Euh… C’est à dire? Patricia confectionne des poteries en utilisant les techniques précolombiennes et totalement à base de produits naturels. Soit l’argile, avec divers pigments minéraux et végétaux. Elle nous montre tout le processus : le tournage, la cuisson, l’ornementation et le vernissage.

Son travail est reconnu mondialement. Elle produit d’ailleurs les répliques de poteries maya préhispaniques pour de nombreux musées d’Europe et d’Amérique. Les motifs sont des copies de pièces existantes, ou basées sur les glyphes des quelques codex maya qui ont subsisté jusqu’à nos jours. Merci à Pedro, l’un de nos guides vedette, pour m’avoir passé le tuyau!

Il est temps de revenir à Mérida pour se reposer un peu et repartir de plus belle en changeant de véhicule. Demain, on va à la plage en Cox ! Vraiment, ce boulot est inhumain.

Le Vocho, petit nom mexicain de la Coccinelle, donne un tout autre rythme au voyage. À 70km/heure, on profite du paysage de forêt, puis de mangrove, qui borde la route vers Sisal. C’est la destination du jour.

L’impression de conduire à la fois un kart et une voiture de collection, le pied. C’est tellement sympa qu’on oublie l’absence de clim, malgré le soleil brûlant du Yucatan. En route, nous faisons une halte à Hunukmá. Nous y rencontrons Moises, un artisan original qui confectionne des mocassins en fibre de Henequen (encore lui!). Ces chaussures sont réputées très fraîches, car la fibre respire très bien. Nous assistons à la confection de plusieurs paires, Moises nous explique le processus de fabrication des fibres… On peut frimer, on l’a fait nous-même il y a 3 jours avec Don Crecencio!

Nous continuons notre route pour arriver à Sisal. Les plages des alentours sont selon moi les plus belles de la côte Nord. On aimerait bien proposer à nos clients une balade à cheval entre plage et mangrove. En demandant aux passants, on nous indique enfin une maison, trois chevaux broutent tranquillement devant. Ils paraissent bien traités, premier bon point.

Le propriétaire, un certain Pedro, est d’accord pour travailler avec nous, victoire! Pas le temps cependant de profiter de la trouvaille, nous avons rendez-vous avec Genaro, un pêcheur rencontré plus tôt. Il doit nous emmener en barque à un ojo de agua. C’est un bassin d’eau douce dans la mangrove d’où surgit une source bien fraîche.

Il est 13h00, il fait 42 degrés à l’ombre, c’est exactement ce qu’il nous faut. Nous nous enfonçons dans la mangrove en silence, en contemplant les grues, flamants roses, perruches et autres oiseaux colorés. Pas un moustique pour nous gâcher le tableau.

En filmant l’arrivée à l’ojo de agua nous tombons nez à nez avec un couple. Eux aussi entendaient bien profiter de ce jardin d’Eden, en cette période de reproduction. Après leur avoir promis de ne jamais diffuser la video, ils repartent vers d’autres aventures à bord de leur kayak. Nous profitons alors un peu du calme et de la plénitude ressentie dans cette grande vasque d’eau fraîche. Eau par ailleurs cristalline et bordée d’orchidées que butinent les colibris. Puis nous rentrons au village et remercions Genaro pour cette belle découverte. Nous allons déguster un bon mérou frit avec le sentiment du devoir accompli.

A la fin du voyage, la voiture ressemble à un mélange de foire artisanale et de chambre d’adolescent: guayaberas de Tekit, sandales de Ticul, attrape-rêves trouvés en chemin, poteries de Muna, trois gros ananas achetés au bord de la route dans le sud du Quintana Roo, du miel de la jungle, les deux hamacs mal enroulés, le linge sale planqué sous la roue de secours, des chaussures en henequen, deux pousses de pitaya que Luís m’a offert pour mettre dans mon jardin, les calepins qui par miracle n’ont pas pris l’eau et les serviettes de plage qui sèchent vaguement sur la banquette arrière.

En y repensant, plus que d’avoir roulé de lieu en lieu, j’ai plutôt le sentiment d’avoir voyagé de personne en personne, avec à chaque étape une bonne dose de partage, d’apprentissage sur la vie réelle des gens du pays, de rires et d’émerveillement. La clef de ce genre de voyage réside certainement en ceci, savoir s’ouvrir à la découverte et à la rencontre. Laisser la porte ouverte à toutes ces personnes qui ne demandent qu’à partager leur savoir et leur vision du monde. Autour d’un feu de bois, d’une bière ou d’un bon relleno negro.

 

Au fait, c’est quand la prochaine reco ?

 

Contactez Corentin pour plus d’infos (et d’anecdotes) sur son séjour et consultez nos circuits découverte de la péninsule du Yucatan !